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MEREM (1995/1996)

822 compositions photographiques (films argentiques 24 x 36 noir et blanc).
Tirages 50 x 60 et 100 x 120 cm, collés sur aluminium,
5 stèles en plexiglass 50 x 180 cm avec photos recto-verso.

Création de formes noires sur fond blanc.
Très nombreuses expositions, dont 4 au Japon.


Les remous, les torsions, les gonflements sont ici, conjointement, ceux des masses et ceux de l’ombre. Mais l’étrange est qu’il n’y a pas corrélation, et aucune relation causale apparente. Les ombres ne baignent pas les pentes abritées de la lumière, révélant sa direction. Elles ne se conjuguent pas avec les lumières pour faire saillir les volumes, comme dans les dessins de plâtres. Nous avons plutôt l’impression que la noirceur a coulé sur ces reliefs, stagnant dans les creux, se répandant en filets noirs, restant accrochée à leur flanc. Et cependant nous ne constatons aucune logique de la gravitation, où tout serait orienté vers le bas. Aucune règle physique ne semble pouvoir expliquer ces formes sinueuses, cette topographie tourmentée. Aucun graphisme n’ordonne leur danse.

Dans le jazz ancien, à l’époque héroïque de la Nouvelle-Orléans, n’existait qu’un principe : tout le monde joue en même temps et chacun joue ce qu’il veut. A l’inspiration de se charger du reste. Ainsi sont nés les chefs-d’oeuvre insurpassables.

Cette polyphonie visuelle a aussi son secret. Bemard Lantéri fait friser la lumière sur une première épreuve. Les excès de brillance viennent alors volatiliser certains noirs de l’image. Il rephotographie l’illusion ainsi obtenue. Et ainsi de suite. De sorte que nous sommes ici comme devant une superposi­tion géologique. Ou, plus précisément métamorphique : les couches inférieures venant modifier les couches supérieures. L’image, à chaque fois en partie effacée par l’intrusion d’un excès de clarté, est à chaque fois ré-enrichie par d’autres ombres. Ainsi Bernard Lantéri brise-t-il l’implacable solidarité de l’ombre, de la lumière et du volume. Les forces visuelles qu’il a librement manipulées se trouvent largement enfouies dans la profondeur de l’image. Celle-ci est comme la surface d’une roche, dont nous ne connaissons que l’affleurement mais qui contient cachée en son sein la longue histoire des montées, des accumulations, des repliements qui l’ont fait naître.

Jean-Claude Lemagny        RIP Arles 1999