OROS (1997/1998)
1147 compositions photographiques (films argentiques 24 x 36 noir et blanc)
Tirages 50 x 60 et 100 x 120 cm, collés sur aluminium.
Réalisée après un séjour dans les monastères du Mont Athos (Grèce).
Conçue entièrement en atelier, sans utilisation d’une seule photo prise sur place.
Technique de reflets lumineux, composition formelle influencée
par les éléments « perçus » pendant le séjour sur le Mont Athos.
3 expositions à Thessalonique, à proximité du Mont Athos
Pour la quasi totalité des photographes, le processus technique conduit à regarder et permet d’enregistrer le devant soi. La référence platonicienne de l’image et de son modèle relève d’une telle évidence que l’usage de la photographie est massivement associée à la représentation, fixant la réalité ou point de départ spécifique habituel pour une intervention artistique. On rappellera pourtant l’expérience des « dessins photogéniques », du tracé des formes par la lumière, de William Fox Talbot et de Hippolyte Bayard, dès la découverte de la photographie. Car la Photographie possède seulement un pouvoir de morphogénèse par la lumière. A une époque de crépuscule pour la pratique photographique traditionnelle, avec le développement de l’image numérique, le moment paraît venu de dégager la gangue de l’image-objet, la Photographie demeurant uniquement une façon, parmi d’autres, de mettre en oeuvre les propriétés de la lumière. Du moins dans l’ordre de la démarche artistique, non dépendante des préoccupations d’utilité.
La série « OROS » s’en tient à l’étymologie de la Photo-Graphie. Les compositions photographiques ont été réalisées sans la moindre prise de vue pendant le séjour dans les monastères du Mont Athos. Elles s’appuient sur ce que Jean-Claude Lemagny appelle « le rythme visuel intérieurement senti », et non sur la mémoire de sujets précis. Car la technique photographique ne saurait reproduire des images mentales, fussent-elles conçues volontairement, encore moins des impressions, évidemment non référencées. Elles participent de la perception sensible sur les lieux de regard, et non de ce que l’on peut y voir. Pour reprendre l’expression de Michelle Debat « le photographe n’a même plus besoin du visible ».
Concrètement, la source lumineuse, dirigée, produit des effets présentant une certaine résonance, le photographe s’efforçant d’orienter la nature de la relation entre ces apparitions. L’élaboration des formes demande simplement l’utilisation d’une feuille de papier vierge, dépositaire de reflets lumineux accumulés par couches successives. Aucune intention initiale, aucune esquisse ne sont envisageables. La composition s’élabore formes après formes, grâce au repentir, indispensable. Le négatif recueillant la composition finale autorise la reproduction multiple.
L’impossibilité de créer directement des formes figuratives laisse une grande latitude pour tenter de saisir des éléments du réel sans structures formelles d’appui. La photographie développe alors une sorte de métaphore sensible, en aveugle. Les formes non matérielles obtenues supportent seulement une valeur latente d’évocation. Et l’ouverture de sens concomitante engage à une appropriation libre de l’interprétation et du ressenti. L’instauration de ce montré n’est donc plus corrélatif à la médiation de la réalité capturée. La proposition de ce quelque chose reste purement photographique.
Bernard Lantéri Janvier 1999